Je danse tous les jours, mais pas au son de la musique. En tant que personne vivant avec la polyarthrite rhumatoïde (PR), je passe beaucoup de temps à faire ma valse quotidienne : prendre mes médicaments, me reposer, bouger sans trop en demander à mon corps, manger des aliments nutritifs et éviter ceux qui ravivent mes symptômes, m’informer sur mon état de santé et défendre mes droits et ceux de mes pairs de la communauté des personnes atteintes de maladies chroniques.
Malgré cette immersion quotidienne dans le monde des maladies chroniques, je ne me définis pas comme une « patiente » en dehors de ma relation avec mes médecins. Je suis plutôt une personne atteinte de polyarthrite rhumatoïde.
Laissez-moi vous expliquer comment j’en suis venue à affirmer cela et ce que signifie pour moi le fait de ne pas me définir ou me désigner comme une patiente.
Chaque fois qu’un mot me met mal à l’aise, mon premier réflexe est de le chercher dans le dictionnaire pour trouver des pistes d’explications. Dans le Larousse, le nom « patient » est d’abord défini comme une personne qui reçoit des soins ou un traitement médical. C’est bien sûr mon cas – la nature chronique de mon affection signifie que mon traitement est continu et se poursuit lorsque je ne suis pas dans le cabinet d’un médecin.
C’est plutôt la deuxième définition du terme qui explique mon malaise : une personne ou une chose qui subit une action.
Être un « patient », c’est jouer un rôle passif
Le modèle sur lequel se fonde notre système de soins de santé attribue au personnel soignant (infirmières, médecins, etc.) le rôle actif de fournisseur de soins, et aux patients le rôle passif de bénéficiaires des soins. Si l’on s’intéresse à l’histoire des soins de santé à l’époque où les médecins étaient considérés comme des dieux donnant des ordres que les patients devaient suivre sous peine d’être considérés comme réfractaires, on constate que ce mode de pensée et ce type de discours sont encore très présents aujourd’hui. Heureusement, nous évoluons vers une perspective qui valorise l’autonomie des patients, et les médecins comprennent de plus en plus que les soins sont plus efficaces lorsque la relation patient-médecin est fondée sur la collaboration. Mais il reste du travail à faire, et la perception du patient comme un acteur passif est toujours bien ancrée dans les esprits.
Même si j’ai beaucoup cheminé dans les dernières décennies pour apprendre à me sentir à l’aise et outillée pour exercer mon autonomie dans un contexte de soins de santé, il m’arrive encore à l’occasion d’avoir la réaction instinctive de me taire et de subir ce qui se passe.
Il y a quelques mois à peine, un médecin superviseur d’un hôpital universitaire de Toronto a utilisé mon cas pour enseigner à un résident un aspect particulier de la PR, tout en m’ignorant complètement. Au cours de leur conversation, j’ai découvert quelque chose sur la façon dont ma maladie a affecté mon corps que personne ne m’avait dit auparavant. Bien sûr, j’aurais dû dire quelque chose. Mais je ne l’ai pas fait, parce que tous les signaux présents dans la situation ont déclenché ma réponse apprise, à savoir agir comme une patiente avec un grand « P » – un cas médical à étudier, plutôt qu’une personne avec qui entrer en contact.
De mon point de vue, être désignée comme une patiente m’empêche de participer activement à mes soins et à leur défense. Je pense que l’utilisation des termes « patient », « patient-expert » et « défenseur des droits des patients » dans un contexte médical a une incidence sur la propension des professionnels de la santé à nous considérer comme des personnes ayant des pensées, des expériences et une expertise en matière de traitement et de résultats. Pour les deux parties de l’équation, la dimension passive présente dans la notion de patient entrave de façon presque insurmontable l’établissement d’une collaboration et d’un partenariat efficaces.
Me définir comme patiente porte atteinte à ma vie privée
Avez-vous déjà répondu aux questions d’une connaissance ou d’un inconnu sur votre santé, avant de vous rendre compte qu’il n’avait aucun droit à ce niveau d’informations privées sur vous? Par exemple, avec ma polyarthrite rhumatoïde, j’ai dû répondre à des questions intrusives sur l’aspect de mes mains ou sur les raisons pour lesquelles je ne peux pas faire telle ou telle chose.
C’est la deuxième raison pour laquelle je ne me considère pas comme une patiente.
En tant que personnes atteintes de maladies chroniques, nous voyons beaucoup de professionnels de la santé. Il y a très peu de place pour l’intimité dans ce contexte et il est normal de partager les détails les plus intimes de sa vie avec une personne qui est une parfaite inconnue et de lui permettre de toucher différentes parties de son corps. Certains comportements sont tout à fait acceptables dans un contexte médical, mais ils ne le sont pas pour autant dans nos interactions avec des inconnus, des connaissances, des amis et des membres de notre famille.
Je pense que le fait d’utiliser le mot « patiente » pour me décrire brouille ces limites.
Je vis avec la polyarthrite rhumatoïde depuis l’enfance et j’ai commencé à me déplacer en fauteuil roulant à l’adolescence. Il a été très difficile pour moi dans ce contexte de fixer des limites pour faire respecter ma vie privée. En plus de m’être habituée à l’absence de pouvoir personnel dans les milieux médicaux, j’ai dû composer avec la stigmatisation et les stéréotypes liés au handicap dans mes interactions quotidiennes avec mon entourage. Si j’avais gagné un sou chaque fois que quelqu’un m’a posé des questions indiscrètes sur mon handicap, je pourrais m’acheter ma propre île privée.
Il m’a fallu beaucoup de temps pour opérer un changement interne et me considérer comme une participante active, une personne qui a le droit de dire non ou de ne pas répondre à une question. Maintenir et renforcer ces limites pour protéger ma vie privée est un travail continu, un peu comme la construction d’un mur de briques. Utiliser le terme « patient » pour me décrire nuit à cet effort. Le mur s’abaisse, et cela permet aux autres de s’immiscer.
Me définir comme patiente restreint mon identité
J’ai eu mon premier fauteuil roulant motorisé à l’âge de 16 ans. C’est aussi à cette époque que j’ai pris conscience des nombreux obstacles qui nuisent à ma participation active au sein de la société. Lorsque j’étais à l’université – une ou deux décennies après la désinstitutionnalisation des personnes handicapées – nous luttions contre la négation de notre statut de personne à part entière. (Voyez, par exemple, l’histoire dans laquelle Jerry Lewis, l’homme derrière les films comiques et les téléthons sur la dystrophie musculaire, utilise l’expression « une demi-personne »).
L’une des façons pour la communauté des personnes handicapées de riposter a été de prôner l’utilisation de termes qui mettent l’accent sur les personnes d’abord, par exemple, parler d’une « personne handicapée » plutôt que d’un « handicapé ». À présent, des années plus tard, la communauté des personnes handicapées se réapproprie avec fierté le handicap comme une composante de l’identité, mais à l’époque, nommer en mettant l’accent sur les personnes était vu comme une solution. Cette pratique est devenue un facteur important dans la manière dont j’ai façonné mon identité en faisant la distinction entre ce que je suis – une femme blanche d’origine danoise, handicapée, de classe moyenne – et qui je suis. Même si ces deux dimensions s’influencent, elles sont loin d’être identiques.
Ma maladie chronique fait partie intégrante de ce que je suis, tout comme le fait que je sois militante, écrivaine et Canadienne, et elle façonne également le cœur de mon identité. Mais ce n’est pas la seule caractéristique qui me définit.
De mon point de vue, le terme « patient » me réduit à une seule facette de ma personne. Nous sommes tous tellement plus qu’une seule de nos caractéristiques. Qui nous sommes sera toujours plus grand que la somme de nos parties.
Il est peut-être temps que nous le reconnaissions lorsque nous parlons des personnes atteintes de maladies chroniques.
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