Une photo d'une femme, Julia Chayko, jouant dans une pièce de théâtre.
Credit: Damon Calderwood

Le foyer des artistes déborde de fébrilité. Dans les loges, des fleurs fraîches et des cartes de félicitations sont exposées un peu partout. Des messages de soutien de dernière minute arrivent par texto. Les membres de la troupe se rassemblent en cercle, se tiennent par les mains et s’encouragent. Après des mois de répétitions ponctuées de larmes, de rires, de frustrations, de répliques oubliées et d’entrées sur scène ratées, le moment est venu de montrer notre travail à un public enthousiaste. Nous prenons place derrière le rideau. La salle est plongée dans l’obscurité et nous nous dirigeons vers nos marques en écoutant les spectateurs qui respirent, chuchotent et prennent place à leur siège. Je prends une dernière inspiration avant que les lumières n’illuminent la scène.

Née pour jouer

Cela fait presque deux ans que je n’ai pas ressenti le trac d’être sur scène – c’est l’une des plus longues périodes que j’ai passées sans me produire sur scène depuis mes débuts en théâtre à l’âge de 12 ans seulement, lorsque j’ai été sélectionnée pour jouer dans la représentation de Tom Sawyer présentée à mon école. Comme je dansais depuis l’âge de 3 ans, j’étais habituée à la scène, mais je n’avais jamais chanté ou parlé devant un public, et je n’étais pas certaine d’en être capable. Ma professeure a vu quelque chose en moi, et je lui en suis infiniment reconnaissante. Depuis ce jour, je me suis évanouie, j’ai embrassé, je me suis battue, j’ai pleuré, j’ai dansé, j’ai ri, et plus encore. J’ai vécu des milliers de vies sur scène.

Un obstacle (ou deux) en chemin

Lorsque j’ai reçu un diagnostic de polyarthrite rhumatoïde (PR), j’ai pris un pas de recul par rapport au théâtre pour apprendre à mieux contrôler mon état et à connaître ce corps qui était nouveau pour moi. Je devais comprendre jusqu’où je pouvais aller, connaître les limites d’un corps autrefois sans limites.

Après quatre ans, je suis revenue avec éclat, dans un rôle très énergique qui mettait à l’épreuve ma résistance physique et mes talents de comédienne. Le nombre de représentations que je pouvais faire dans une année était désormais limité, mais cela n’a rien enlevé à mon amour du théâtre. La douleur et la fatigue liées à la polyarthrite rhumatoïde n’ont pas pu m’empêcher de monter sur scène.

Mais une pandémie mondiale, si.

Quand la COVID-19 a forcé le monde à se confiner, les feux se sont éteints. Les théâtres ont dû annuler des spectacles planifiés un an à l’avance. Nos esprits sont demeurés dans les coulisses, errant dans les théâtres vides à la recherche de l’énergie créatrice qui nous anime.

Nous rêvions de retrouver la fébrilité de fouler les planches (une expression de théâtre qui désigne le fait de se produire sur scène). Cela nous manquait d’assister à des représentations, de faire partie du public pour regarder jouer nos collègues acteurs. Nous avons essayé de nous adapter pour proposer des performances virtuelles, mais le monde était saturé d’écrans. Nous avons donc raccroché nos costumes et compté les jours.

Revenir sous les feux de la rampe

Cet été, les restrictions ont été levées dans ma province, la Colombie-Britannique. L’obligation du port du masque a été supprimée, les restaurants ont ouvert au maximum de leur capacité, les cours ont repris dans les centres de loisirs et les théâtres ont rouvert leurs portes. Les acteurs et les metteurs en scène ont recommencé à lire des scénarios, à planifier des spectacles et à diffuser des avis d’audition. La joie de remonter sur scène était contagieuse – même mon mari a ressenti la fébrilité de la mise en scène, du jeu. Mais je n’étais pas aussi enthousiaste que mes complices. Même si j’étais heureuse d’avoir la possibilité de remonter sur scène, je ne savais pas si je me sentais en sécurité pour le faire – ou si je le ferais un jour.

Deux photographies. Sur la gauche si une photo d'une femme, Julia Chayko, jouant dans une pièce de théâtre. À droite, une photo d'une femme, Julia Chayko, et d'un homme jouant dans une pièce de théâtre.
Credit: Dwayne Campbell / Doug Goodwin

Pour les personnes atteintes de maladies auto-immunes ou inflammatoires comme la polyarthrite rhumatoïde et les personnes qui prennent des immunosuppresseurs, le retour à la vie « normale » génère beaucoup d’anxiété. C’est une chose d’aller faire des courses ou de prendre place sur la terrasse extérieure d’un restaurant – le risque est faible et il est facile de garder ses distances. Mais le théâtre est un environnement complètement différent.

Il n’y a pas de distanciation physique entre les acteurs d’une troupe. Personne ne porte de masque. Nous partageons les loges et les comptoirs; nous nous aidons à changer de costume entre les scènes; nous coiffons et maquillons nos collègues. Nous nous étreignons, nous nous embrassons et nous chantons tout près les uns des autres. Nous passons des mois en contact étroit avec des personnes extérieures à nos foyers, qui ont certainement elles-mêmes des contacts avec des personnes extérieures à leur foyer. L’idée d’être à nouveau aussi proche des gens après une année d’isolement est déstabilisante. Pendant plus d’un an, j’ai côtoyé peu de gens, et encore moins embrassé des inconnus sur scène.

Composer avec la PR tout en jouant sur scène était déjà un défi : la menace posée par la COVID-19 représente un risque supplémentaire pour mon système immunitaire affaibli.

Répéter en vue du prochain acte

Après s’être isolés pendant si longtemps, il est difficile de reprendre place dans le monde. À bien des égards, j’ai renoué avec ma vie au-delà des quatre murs de ma maison. Je sors pour faire mes courses hebdomadaires. Je mange dans des restaurants de mon quartier. Je voyage à travers ma province, je marche et fais du vélo en plein air. Tranquillement, ma bulle s’élargit et j’y inclus davantage de gens. Ça, c’est la partie facile. Pour retourner un jour sur scène, je dois me sentir à l’aise près d’un groupe de personnes.

Comment? Quelles sont les prochaines étapes pour renouer avec une vie normale, mais aussi avec la vie sur scène? Je ne le sais pas avec certitude, mais je crois que c’est essentiellement une question de confiance. Je dois avoir confiance dans le fait que des protocoles de sécurité seront mis en place au théâtre, que les personnes avec lesquelles je travaille sont vaccinées (tout comme moi) et qu’elles prennent des mesures pour assurer leur sécurité : me permettant par le fait même de rester en sécurité.

Avant tout, je dois avoir confiance dans le fait que mes décisions sont les bonnes.

Il s’agit aussi d’évaluer ce que je suis prête à risquer. Mes passions ont toujours été le moteur de ma vie. Vais-je laisser une pandémie m’empêcher de vivre ma passion? Y a-t-il un moyen de concilier tous ces facteurs? Ce sont des questions auxquelles je pense constamment, et une décision que je ne peux pas prendre à la légère. De nombreuses inconnues planent encore dans l’ombre.

Prenez place

Le théâtre m’appelle. Je l’entends dans mes rêves, qui m’appelle. Quelqu’un m’a demandé quand serait mon prochain spectacle, et je n’ai pas su répondre. Le nombre de cas augmente de nouveau dans notre province. L’obligation du port du masque a été rétablie. Je ne sais pas encore comment cela se traduira pour les théâtres.

Les lumières, les costumes et le défi de donner vie au monde imaginé par les dramaturges me manquent, mais je ne suis pas certaine d’être prête à monter sur scène. Pas encore.

Pour l’instant, j’attendrai patiemment derrière le rideau mon signal, celui qui m’indiquera qu’il est temps de retrouver ma place sur scène.

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