Une illustration d'une personne avec des taches rouges sur les bras et la main pour représenter l'arthrite. La personne s'embrasse dans une étreinte.
Credit: Tatiana Ayazo

Je me suis sentie trahie par mon corps. Plus encore, je me suis sentie abandonnée par mon corps, qui a cédé aux assauts de la polyarthrite auto-immune, apparemment sans faire le moindre effort pour s’y opposer. J’étais jeune, j’avais à peine 4 ans, lorsque j’ai vécu mes premiers épisodes d’enflure et de douleur aux articulations. Et c’est ensuite devenu bien pire. La polyarthrite rhumatoïde (PR) m’a privée de la majeure partie de mon enfance, alors que j’ai été hospitalisée pendant des années – c’est ce que l’on faisait à l’époque au Danemark, où je suis née et où j’ai grandi – et que j’ai été privée d’école, d’amis et de jeux.

Le Danemark est un vieux pays, doté d’infrastructures anciennes et pour la plupart non accessibles. J’étais adolescente une dizaine d’années seulement après la désinstitutionnalisation des personnes handicapées, qui auparavant étaient mises à l’écart, hors de vue. Je suis donc finalement sortie de l’hôpital. Mon corps demeurait une source de douleur non contrôlée dans un environnement qui excluait largement les personnes comme moi. Pendant plusieurs décennies, tant au Danemark qu’après notre déménagement au Canada, j’ai rarement vu d’autres personnes en fauteuil roulant.

Ma réponse à mon environnement et à ma douleur a été d’intérioriser le point de vue capacitiste selon lequel mon corps et moi constituons une tragédie : nous étions bizarres et inhabituels, « particuliers ». À l’intérieur, dans mon esprit et dans mon âme, je me sentais comme n’importe quelle autre jeune femme. Je rêvais de devenir vétérinaire, de rencontrer mon premier petit ami, de voyager, d’écrire, d’aider les autres, d’être acceptée. À l’extérieur, mon corps handicapé et la douleur que je ressentais étaient autant d’obstacles à la réalisation de mes rêves.

J’étais jeune et c’était bien avant que nous ne commencions réellement à remettre en question le monde construit pour les personnes non handicapées. Ainsi, au lieu d’attribuer la responsabilité de ces obstacles à l’environnement non accessible dans lequel j’évoluais, et l’inflammation incontrôlée aux traitements de la PR moins efficaces que ceux qui sont disponibles aujourd’hui, j’ai commencé à détester mon corps. Très vite, j’ai détesté ce corps douloureux et inutile qui m’obligeait constamment à renoncer à mes rêves, à rester sur la touche. À rester sur terre alors que je voulais voler.

Je le détestais tellement que je le considérais comme un simple contenant pour mon âme et mon esprit; je me voyais même comme « un cerveau dans un bocal ».

Voir son corps comme un partenaire, pas comme un ennemi

Cela a duré des décennies, jusqu’à ce que je comprenne, dans un moment de profonde lucidité il y a environ 15 ans, que j’avais tout faux. Mon corps ne m’a pas trahi. C’est plutôt le contraire : il a fait de son mieux pour me permettre de continuer à vivre malgré les assauts constants de cet ennemi qu’est la polyarthrite rhumatoïde.

Pour la toute première fois, j’ai pris conscience du fait que mon corps et moi sommes partenaires dans la poursuite de mes rêves. Et une fois que j’ai commencé à traiter mon corps avec amitié et respect, à lui donner la parole et à ne plus ignorer ce qu’il me disait, j’ai pu progresser pour réaliser mes rêves.

Ce lien amical entre mon corps et moi n’est pas apparu du jour au lendemain. Nous avons eu besoin de temps pour réapprendre à nous connaître après toutes ces années pendant lesquelles je l’avais nié. Il nous a fallu comprendre comment chacun de nous fonctionnait et comment rebâtir la confiance. Voici comment nous y sommes arrivés.

Nous nous écoutons l’un l’autre

Dans son livre Dare to Lead (en anglais), Brené Brown explique que la confiance se construit non pas par des actions grandioses, mais par de petits moments de la vie quotidienne.

Il en va de même dans ma relation avec mon corps. Il est essentiel de s’écouter mutuellement, de prêter attention et de respecter les souhaits exprimés par l’autre – comme dans toute amitié. « Mais Lene, as-tu vraiment des conversations avec ton corps? », me demanderez-vous peut-être, inquiets de ma santé mentale. Je vous répondrai à la fois « bien sûr que non » et « tout à fait ». Je ne passe pas mes journées à imaginer des voix ou à me parler à moi-même, mais je suis consciente que mon corps a des souhaits et des préférences et que c’est à mes risques et périls que je choisis de les ignorer.

Nous travaillons ensemble

Dans le passé, j’allais de l’avant, peu importe comment je me sentais, sans écouter les appels à me ménager. En conséquence, j’ai eu beaucoup d’épisodes de « crises », c’est-à-dire des poussées d’arthrite, lorsque je n’écoutais pas mes limites. J’ai appris que mon corps essaie de me dire qu’il y a un problème et que si j’ignore le message, il continuera à me le dire de manière de plus en plus insistante. Lorsque j’ai une poussée d’arthrite qui dure toute une semaine parce que j’en ai trop fait, c’est que mon corps n’a pas d’autre choix que de m’obliger à rester tranquille pour qu’il puisse guérir (ce qu’il fait assurément en me traitant de tous les noms).

Lorsque je prends le temps de l’écouter plus attentivement, en apprenant à reconnaître les signes avant-coureurs et les symptômes beaucoup plus subtils qui se manifestent bien avant la crise – et que j’agis ensuite pour y remédier, par exemple en m’accordant plus de temps libre entre mes tâches ou en me reposant davantage – j’ai moins de crises.

Quand je suis à l’écoute de mon corps, il me soutient en retour.

Nous nous pardonnons mutuellement

Ça ne marche pas toujours. Il y a quelques mois, j’avais beaucoup à faire et j’ai quelque peu délaissé ma routine habituelle de soins, notamment mon habitude de faire le point avec mon corps en début de journée. Il s’agit simplement de prendre quelques minutes après le déjeuner pour prêter attention à mon corps, observer mes niveaux de douleur et de fatigue, et noter ces derniers dans mon agenda (un A pour les bonnes journées, un B pour celles où je ressens un certain niveau de douleur et de fatigue, et un C pour les mauvaises journées). Je n’avais aucune idée de l’utilité de cette pratique jusqu’à ce que j’y renonce pendant un mois particulièrement chargé de l’été. Avant même de m’en rendre compte, ma fameuse liste de choses à faire a pris le dessus sur ma vie et je suis retombée dans ma vieille habitude de courir en solitaire plutôt qu’en partenariat avec mon corps. Sans grande surprise, une poussée d’arthrite a suivi, et j’ai dû consacrer trois semaines du mois d’août à guérir.

J’essaie de voir cela non pas comme une perte, mais comme une leçon. Cela m’a rappelé à quel point il est important de respecter mon corps lorsque je fais des projets et que je vis ma vie. J’ai pardonné à mon corps de ne pas avoir les ressources nécessaires pour m’accompagner dans ma liste irréaliste de projets tout en luttant pour rester en bonne santé face à la polyarthrite rhumatoïde. C’était une demande déraisonnable et ce n’est pas la faute de mon corps – c’est la mienne. Et, ce qui est très important : ces trois semaines m’ont donné l’occasion de réfléchir à ce qui s’est passé, de demander pardon à mon corps pour l’enfer que je lui ai fait vivre, et d’établir un nouveau plan pour ne pas commettre cette erreur à l’avenir.

Déconstruire mon « capacitisme intériorisé »

Apprendre à déconstruire mon « capacitisme intériorisé », qui me poussait à voir mon corps imparfait comme une trahison, et en attribuer la responsabilité à la cause réelle – la polyarthrite rhumatoïde – plutôt qu’à mon corps a été un premier pas important dans ce nouveau lien d’amitié.

C’est un travail de tous les jours, auquel contribue grandement le travail des communautés des personnes atteintes de maladies chroniques et des personnes handicapées pour dénoncer le capacitisme sous toutes ses formes. Comme toute autre amitié, la relation que j’entretiens avec mon corps a besoin d’être nourrie et entretenue. Il me faut renouveler cet engagement, y consacrer du temps et de l’attention. Mais cela en vaut la peine. Adopter cette nouvelle approche dans ma vie avec la PR a été incroyablement stimulant, et cette approche continue à se développer et à s’approfondir, comme le fait toute amitié authentique avec le temps.

Faites-en l’essai. Vous ne le regretterez pas. La prochaine fois que vous serez en colère contre votre état de santé ou votre maladie, imaginez comment vous pourriez traiter votre corps comme un ami. Après tout, y a-t-il une relation plus importante que celle que nous entretenons avec nous-mêmes?

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