C’est la productivité qui m’a achevée. Ou plutôt, une autre fois où j’en ai juste trop fait, ce qui a inévitablement déclenché une crise. Ce n’était pas la première fois que je me rendais là. Avec la polyarthrite rhumatoïde (PR), ça m’arrive souvent d’en faire trop. Mais c’était la première fois que j’en avais assez pour me demander sérieusement pourquoi je continuais à le faire. C’était toute une crise. J’ai donc eu assez de temps pour réfléchir et j’ai finalement trouvé la réponse : le capacitisme intériorisé.
Ce concept contribue à de nombreuses frustrations et difficultés émotionnelles liées à la vie avec une maladie chronique, mais nous n’en parlons pas assez. Alors, brisons le silence.
Qu’est-ce que le capacitisme?
Vous avez déjà entendu parler de sexisme et de racisme, ces préjugés fondés sur le sexe ou la race qui dévalorisent et limitent le potentiel de quelqu’un. Le capacitisme fait état des préjugés fondés sur le handicap.
Comme pour tout autre « -isme », le capacitisme peut être interpersonnel (lorsqu’une personne discrimine une autre personne en raison de son handicap) ou systémique (lorsque ce sont les structures sociales, par leur conception ou leur impact sur les personnes, qui désavantagent les personnes handicapées). Comme nous vivons dans une culture qui a été dominée pendant très longtemps par et pour des hommes blancs sans handicap, la plupart d’entre nous avons un certain niveau de racisme, de sexisme et de capacitisme intériorisé.
Heureusement, la conversation pour démanteler les préjugés et la discrimination est en cours depuis un certain temps pour le sexisme et le racisme, mais la prise de conscience du capacitisme est assez récente. Je rencontre régulièrement des gens qui n’ont jamais entendu le terme et quand j’explique de quoi il s’agit, beaucoup s’étonnent que ça existe. C’est en soi une expression de capacitisme — ou peut-être d’inconscience.
L’un des exemples les plus flagrants de capacitisme personnel et systémique est l’insistance pour le travail en présentiel de la part des employeurs pour les emplois qui peuvent être effectués à distance, généralement dans l’industrie du savoir. Les personnes vivant avec un handicap ou une maladie chronique demandent à travailler à distance depuis des années et se faisaient constamment répondre que c’était impossible. Pendant la pandémie, nous avons pu constater la vitesse à laquelle les employeurs sont passés au travail à distance, prouvant par le fait même que c’était bel et bien possible. Cela reflète à la fois le capacitisme individuel et direct des employeurs qui ont refusé les demandes de travailler à distance ainsi que le capacitisme systémique des structures d’emploi qui ne permettaient pas cette flexibilité.
Le capacitisme intériorisé est un peu plus difficile à identifier, mais se voit souvent par des émotions en lien à votre valeur. Par exemple, je sais que ma difficulté à ne pas trop en faire est liée au fait que je me juge quand je ne suis pas productive. J’y reviendrai.
Trois façons de démanteler son capacitisme intériorisé
La première étape pour démanteler son capacitisme intériorisé est de remettre en question ce que nous tenons souvent pour acquis ou comme étant normal. Par exemple, on peut commencer en jetant un coup d’œil à trois défis auxquels font face toutes les personnes qui ont une maladie chronique et en nous demandant comment changer cette vision.
Célébrer son corps
Si les articulations de vos mains ou vos doigts sont déformées, comment vous sentez-vous? Il y a de fortes chances que ce soit un sujet délicat pour vous, surtout si vous êtes une femme. Les normes de beauté féminine sont très spécifiques dans notre culture en ce qui a trait à l’apparence des doigts, mais aussi aux différences de toutes sortes. Il est presque impossible de se sentir belle. J’ai parlé à de nombreuses femmes de la communauté de la PR qui ont tellement honte de leurs mains qu’elles n’utilisent plus de vernis à ongles ou ne portent plus leurs belles bagues.
J’ai beaucoup appris en suivant des comptes qui célèbrent l’acceptation corporelle. Bien que ce concept ait commencé avec le mouvement Fat Acceptance dans les années 1960, il peut s’appliquer à toute personne dont le corps est un peu différent de l’idéal fixé par la société (c’est-à-dire probablement la plupart d’entre nous). Et ça inclut les personnes qui vivent avec une maladie chronique. Au lieu de cacher vos mains (ou toute partie de votre corps que vous n’aimez pas), célébrez-les. Vos mains peuvent vous faire mal ou avoir l’air différentes par rapport à avant, mais elles vous accompagnent encore tout au long de la journée et vous aident à faire toutes vos tâches et à communiquer de l’amour par le toucher à vos proches. Reconnaissez leur contribution à votre vie et célébrez-les avec du vernis à ongles funky et la belle bague qui attend dans votre tiroir.
Demander de l’aide
Dans notre culture, les gens sont censés être indépendants, se prendre en main et tout faire eux-mêmes. Mais le concept d’indépendance est un mythe. La société repose sur le contraire : l’interdépendance. Nous comptons tous les uns sur les autres de différentes manières. Pensons au transport en commun, aux employeurs et à leurs employés, aux soins médicaux, même à la personne qui vous a ouvert la porte lorsque vous êtes allé magasiner.
Demander de l’aide peut vous faciliter la vie, mais c’est aussi un acte d’amour. Vos proches aimeraient peut-être désespérément pouvoir agiter une baguette magique pour faire disparaître votre maladie chronique. À défaut d’en être capable, vous conduire à un rendez-vous chez le médecin ou tondre votre pelouse peut être une manière pour elles de vous aider.
Pourtant, faire ce premier pas pour demander l’aide dont vous avez besoin peut être vraiment intimidant. Commencez par parler à des personnes de confiance et dites-leur ouvertement ce que vous ressentez lorsque vous devez demander de l’aide. Faites ensuite une liste des différentes tâches qui vous faciliteraient la vie. Assurez-vous de laisser assez de flexibilité pour qu’elles puissent les ajuster en fonction de leur horaire.
Reconnaître sa propre valeur
Utiliser la productivité comme une mesure de la valeur individuelle est un principe fondamental des sociétés capitalistes telles que la nôtre. Vous avez de la valeur tant que vous êtes capable de produire et de contribuer au système économique. Les personnes qui ne le peuvent pas sont souvent stigmatisées et perçues comme étant paresseuses ou un fardeau pour la société, sans même prendre en compte les raisons pour lesquelles elles ne participent pas à la main-d’œuvre. C’est une perspective qui nous affecte tous et toutes, que nous soyons en emploi ou non. De la pression d’être constamment occupé au bourbier de la culpabilité et de la honte lorsque vous n’êtes pas en train de faire quelque chose, notre propre valeur est bien ancrée dans la productivité, que vous viviez avec une maladie chronique ou que vous ayez la chance d’être en bonne santé.
C’est pourquoi il peut être difficile d’accepter l’idée que notre valeur est intrinsèque et n’a aucun rapport avec la productivité, la performance ou la contribution à la société. J’ai commencé par reconnaître mon besoin de laisser de côté la productivité au profit de ma propre valeur et j’ai fait les premiers pas pour changer ce réflexe. Je suis devenue meilleure grâce aux conversations sur les réseaux sociaux remettant en question la « culture de l’agitation » qui prévaut depuis si longtemps. Recherchez ces mots-clés pour commencer votre propre cheminement :
- #Handicap
- #FiertéHandi (surtout en juillet, mois de la fierté du handicap aux États-Unis où plusieurs publications utilisent #DisabilityPride)
- #MaladieChronique
- #ValeurIntrinsèque
Démanteler son capacitisme intériorisé est tout un travail, mais ça en vaut la peine. Si nous ne remettons pas en cause les idées préconçues de notre culture et de nous-mêmes, nous nous enlisons dans des schémas qui ne respectent pas nos idéaux. Changer la société pour qu’elle devienne plus inclusive et pour que les gens puissent être plus détendus et heureux vaut définitivement ces efforts.
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