Pour les personnes qui vivent avec plusieurs maladies chroniques non contrôlées, passer quelques semaines sans avoir besoin de voir son médecin de famille ou un autre professionnel de la santé est quasi impossible. C’est quelque chose que j’ai appris récemment, à la dure, quand j’ai dû dire au revoir au médecin remplaçant la personne qui était censée être mon médecin de famille après le départ de mon médecin de famille antérieur.
C’est compliqué, je le sais. Au cours des neuf dernières années, j’ai été suivie par plus d’une douzaine de médecins de famille, et c’est seulement ceux dont je me souviens. Le courant n’est pas toujours bien passé entre eux et moi, et il semble qu’aucun n’ait voulu rester.
Bien qu’un rhumatologue traite ma polyarthrite rhumatoïde, les personnes atteintes d’une maladie chronique ont souvent d’autres comorbidités et traversent des phases où leur santé va moins bien et nécessite les soins d’un médecin de famille. En plus de la polyarthrite rhumatoïde, je fais de l’arthrose, de la fibromyalgie, de l’endométriose, de l’anxiété et une dépression.
Pendant la pandémie, j’ai eu à gérer plusieurs problèmes et craintes pour ma santé. J’ai eu des symptômes de sclérose en plaques ou de myélite transverse. J’ai dû subir une colposcopie en raison de cellules précancéreuses sur le col de l’utérus devant être retirées ainsi qu’une coloscopie pour vérifier la présence d’une maladie inflammatoire de l’intestin ou d’un cancer de l’estomac. Puis, on m’a diagnostiqué une mystérieuse carence vitaminique dont les symptômes imitaient ceux de la sclérose en plaques. Ça ne fait aucun doute : j’ai besoin d’un médecin de famille.
J’étais proche de mon dernier médecin de famille. Elle me donnait des soins de rêve. La période pendant laquelle elle a remplacé mon médecin de famille régulier a été chargée pour moi. Elle se souvenait toujours de mes préoccupations et m’a soigneusement aidée à les surmonter. Ça faisait longtemps, même très longtemps, que je n’avais pas eu cette attention de la part d’un médecin de famille. J’étais surprise qu’elle prenne le temps de passer en revue toutes mes préoccupations. Son départ m’a attristé, surtout que seulement deux semaines après, le soir du Nouvel An, je faisais une mauvaise chute.
Ici, les médecins semblent arriver et repartir avant même que je puisse avoir le temps de connecter avec eux comme j’aimerais le faire avec mon médecin de première ligne. L’autre problème, ce sont les cliniques où les médecins changent constamment alors que je suis censée n’avoir qu’un seul médecin de famille. Il semble presque impossible de prendre rendez-vous avec un médecin régulier parce qu’il est pris ailleurs, alors vous voyez un de ses collègues ou un remplaçant. Ça me donne l’impression de devoir recommencer à zéro chaque fois que j’ai un problème.
Pourquoi y a-t-il une pénurie en Colombie-Britannique?
La pénurie de médecins se fait sentir partout au pays pour diverses raisons, notamment la géographie du pays. Le Canada compte un nombre surprenant de communautés rurales. Près de cinq millions de Canadiens âgés de 12 ans et plus ont déclaré ne pas avoir accès à un professionnel de la santé de première ligne, selon un rapport de Statistique Canada publié en 2020.
Cependant, en Colombie-Britannique, le problème ne réside pas seulement dans la géographie de la province, mais également dans un système de facturation obsolète qui ajoute trop de pression sur les médecins pour gérer leur pratique. Ce modèle de rémunération à l’acte oblige les médecins de famille à facturer leur autorité sanitaire pour chaque visite. Les médecins ne sont pas payés en fonction du temps et de l’attention qu’ils consacrent à un seul patient.
Un rapport récemment publié dans la revue Le médecin de famille canadien met en lumière ce modèle de paiement désuet pour les médecins de famille en Colombie-Britannique. Ce modèle dissuade les aspirants médecins de poursuivre dans cette branche, contribuant ainsi à la pénurie continue de médecins de famille dans la province.
Pourquoi établir sa pratique en Colombie-Britannique alors qu’il est possible de mieux gagner sa vie ailleurs tout en travaillant moins? En moyenne, 210 médecins sont diplômés en Colombie-Britannique par an, mais nous ne les gardons pas. De plus, ce nombre est en soi insuffisant pour combler les besoins de notre population croissante et vieillissante.
Vous voyez, le système médical n’a pas soulagé la charge de travail des médecins; il l’a plutôt empirée. Les médecins doivent facturer le gouvernement provincial pour les services rendus. Puis, ils doivent trouver et louer leur propre espace, embaucher leur propre personnel et se procurer leurs propres équipements et fournitures. La plupart d’entre eux passent de nombreuses heures à gérer leur clinique.
Selon ce modèle, les médecins et les hôpitaux sont payés par la province pour chaque consultation, test ou opération. Pour rester à flot, ils doivent voir un grand nombre de patients tout en gérant une entreprise. Ainsi, il leur est impossible de passer plus de dix minutes avec un patient et ils doivent se limiter à un ou deux problèmes.
Les patients comme moi deviennent de plus en plus compliqués à suivre et il est désormais évident que ce modèle ne fonctionne pas pour nous.
Se voir refuser des soins fait mal
Les médecins peuvent décider s’ils veulent vous traiter ou non. Je l’ai découvert lorsque ma clinique a cessé de suivre de nombreux patients dont les cas n’étaient pas considérés comme « graves » après le départ d’un de leurs médecins. Je les ai suppliés de me garder, mais on m’a dit qu’ils acceptaient de nouveaux patients environ un an après mon renvoi de la clinique. À ce moment-là, encore une fois, ils ne m’ont pas rappelée. Depuis que je défends les intérêts des patients, j’entends que de nombreux médecins ne veulent pas traiter les patients atteints de douleur chronique ou de plusieurs maladies chroniques. Pourquoi ajouter plus de travail à un horaire déjà surchargé?
Peu importe qui vous rejette à cause de votre maladie, le rejet fait mal chaque fois. Naturellement, ne pas avoir les soins dont j’ai besoin ne fait qu’empirer mon état de santé, et ça fait mal. Je vis avec plusieurs maladies progressives qui s’entremêlent souvent les unes avec les autres.
Ainsi, lorsqu’un médecin de famille voit entrer une fille comme moi dans son bureau, avec plein de problèmes à chaque visite, il peut facilement se sentir débordé ou me demander de prendre un autre rendez-vous. Lors de chaque rendez-vous, on ne m’accorde que quelques minutes pour aborder une seule de mes préoccupations. Alors, j’ai intérêt à me dépêcher. C’est difficile quand votre liste de diagnostics est aussi longue que la mienne : polyarthrite rhumatoïde, arthrose, fibromyalgie, anxiété, dépression, endométriose, kystes ovariens, carence en cuivre, surveillance de cellules cervicales anormales, et plus encore. Vous trouvez que c’est compliqué à traiter? Essayez de vivre avec tout ça.
Neuf raisons pour lesquelles il est difficile de faire face aux changements constants de médecins de famille
Ne pas avoir un médecin de famille régulier est un énorme problème pour moi, et ce, pour plusieurs raisons. En voici quelques-unes :
Ça me crée de l’anxiété et mine ma confiance
J’ai eu de bons médecins. J’en ai aussi eu des mauvais et des médiocres. Toutefois, chaque fois que j’ai besoin de consulter, je sens venir une vague d’anxiété qui me fait questionner si je vais recevoir les soins dont j’ai besoin. C’est toujours un peu comme aller à un premier rendez-vous galant. Est-ce que le courant va passer entre nous? Va-t-il m’écouter, me laisser expliquer ce qui se passe avant de m’interrompre pour passer au patient suivant? Va-t-il détourner mes préoccupations, me laissant confuse et encore pire en sortant de son bureau? Comme si avoir besoin d’aller chez le médecin ne me causait pas assez d’anxiété.
Souvent, je ne reçois pas les soins dont j’ai besoin
Souvent, les cliniques sans rendez-vous ne fournissent pas les soins ou le temps dont j’ai besoin pour traiter mes problèmes complexes de santé. J’ai souvent besoin de jongler entre plusieurs rendez-vous par mois ou par semaine pour répondre à tous mes besoins. Cependant, les médecins n’arrivent pas à prendre en charge l’ensemble de mes problèmes, car ils ne connaissent pas assez bien mon cas ou pensent déjà à leur prochain rendez-vous alors que je suis encore en train d’expliquer mon premier problème. Les cliniques sans rendez-vous ne peuvent pas non plus surveiller mes maladies chroniques ou me donner de l’information sur les répercussions possibles de quelque chose sur ma polyarthrite rhumatoïde ou mes médicaments.
Ça augmente la charge de travail de mes spécialistes et des services d’urgence
Je ne peux pas toujours compter sur mon rhumatologue, et mes problèmes de santé ne coïncident pas toujours avec la disponibilité d’un rendez-vous, qui peut aller de trois à six mois dans ma région. Je ne peux pas non plus me rendre à l’urgence pour chaque problème de santé, car cela implique de courir un plus grand risque d’attraper la COVID-19 ou une autre infection. Cependant, sans médecin de famille, les visites à l’urgence sont forcément plus fréquentes et la charge est plus importante pour mon spécialiste qui est déjà surchargé et dont la liste d’attente est beaucoup plus longue que celle d’un médecin de famille.
Le médecin pourrait rater quelque chose d’important
Ma santé m’a causé beaucoup de problèmes ces dernières années. J’ai du mal à suivre tout ce dont j’ai besoin de faire pour être en santé. Je ne m’attends pas à ce qu’un médecin se souvienne de tout sur moi, mais j’ai définitivement besoin de quelqu’un qui travaille avec moi et qui connaît un peu mon dossier. J’ai aussi besoin d’une personne qui comprend la polyarthrite rhumatoïde, une maladie sur laquelle les médecins de famille ne reçoivent généralement pas suffisamment de formation.
Mon dossier médical déjà complexe le devient encore plus
On me demande souvent quel médecin a fait tel test ou prescrit tel médicament. J’ai du mal à me souvenir de quel médecin il s’agissait parce que j’en vois tellement.
Tous les médecins ne sont pas égaux
De nombreux médecins de famille n’ont pas reçu une formation adéquate sur la polyarthrite rhumatoïde, la fibromyalgie ou la douleur chronique en général. Mon rhumatologue m’a averti de ne pas parler de mon diagnostic de fibromyalgie, comme si c’était un secret gênant, à mon professionnel de la santé pour m’assurer de recevoir les soins dont j’ai besoin. Il ne me reste qu’à espérer que le médecin me croira quand je lui parlerai de mes problèmes actuels, car certains peuvent les balayer de la main assez vite dès qu’ils remarquent que j’ai des problèmes de santé invisibles.
Ça cause de nouveaux traumatismes médicaux
Vivre avec une maladie chronique est traumatisant en raison des tests, de l’attente, de la douleur et de l’impact de tout ça sur ma santé mentale. Quand on ajoute un médecin, mauvais ou pressé, à l’équation, c’est encore plus traumatisant pour moi en tant que patiente.
C’est épuisant de devoir m’expliquer encore et encore
Mon cerveau embrouillé peut me faire oublier une information importante si je suis épuisée par l’angoisse de rencontrer un nouveau médecin à chaque fois.
Je me sens désespérée, seule, perdue et effrayée
Vivre avec des problèmes de santé chroniques n’est pas amusant. On est seul, isolé et apeuré. Quand je suis promenée d’un professionnel de la santé à l’autre, il m’arrive de me sentir désespérée, ce qui m’enlève la motivation nécessaire pour prendre soin de moi.
La seule façon de traverser cette situation est de défendre mes droits
Je ne peux pas compter sur mon équipe de soins de santé pour tout. Je dois assumer une certaine responsabilité et défendre mes droits. Je dois comprendre que les stratégies d’autogestion de mes maladies chroniques peuvent m’aider à ne pas consulter le médecin aussi souvent. Je fais ce que je peux pour rester en bonne santé.
Il est extrêmement important de conserver un historique détaillé de mes problèmes médicaux par écrit. Malheureusement, les cliniques n’auront pas accès à l’ensemble de vos dossiers. Alors, pensez à créer une note dans votre téléphone ou sur Google Drive à laquelle vous pourrez vous référer. Cela vous aidera à vous rappeler vos antécédents médicaux, vos médicaments, vos dates de chirurgie ainsi que les noms et coordonnées des médecins que vous oubliez tout le temps. On n’est jamais trop préparé.
Je note toujours mes questions ou préoccupations d’avance, par ordre d’importance, car le médecin n’aura peut-être pas assez de temps pour y répondre. De plus, soyez prêt à prendre plus d’un rendez-vous, en raison du merveilleux modèle de rémunération à l’acte de notre système de santé.
Pour trouver un médecin de famille, le bouche-à-oreille peut être utile. Demandez à vos amis, aux membres de votre famille et à d’autres professionnels de la santé s’ils connaissent un médecin de famille qui accepte de nouveaux patients. Parfois, un médecin peut vous prendre sur recommandation d’un de ses patients ou par l’intermédiaire d’un spécialiste.
Lorsque je suis dans une impasse, je vais à une clinique sans rendez-vous qui permet de prendre rendez-vous en ligne et qui propose des rendez-vous virtuels. En plus, la clinique est située dans un endroit pas trop bondé, si j’ai besoin d’y aller en personne. Le simple fait de trouver une clinique où votre anxiété est au minimum peut vous aider à penser clairement au moment du rendez-vous. N’ayez pas peur de demander au médecin de la clinique sans rendez-vous s’il est prêt à vous prendre en charge comme patient régulier.
Les infirmières praticiennes peuvent servir de renfort
Les infirmières praticiennes sont une excellente option lorsqu’il est impossible de voir un médecin de famille. Leurs consultations sont souvent plus longues et plus personnalisées, car elles n’ont pas à facturer comme le font les médecins. Comme elles sont salariées ou contractuelles, elles peuvent accorder plus de temps à chaque patient, selon la situation. Certains patients préfèrent consulter une infirmière praticienne qu’un médecin généraliste parce qu’elle passera plus de temps avec eux. Parfois, le simple fait de prendre le temps d’écouter nos préoccupations est le meilleur traitement.
Les infirmières praticiennes sont des infirmières autorisées qui ont suivi une formation spécialisée et qui possèdent davantage d’expérience en soins infirmiers. Les cours supplémentaires qu’elles ont suivis leur permettent de faire une bonne partie de ce qu’un médecin de famille peut faire, en plus de ce que fait une infirmière régulière. En Colombie-Britannique, en Ontario, au Manitoba, dans les Territoires du Nord-Ouest et au Nunavut, les infirmières praticiennes ont toutes les droits hospitaliers complets.
Certaines cliniques médicales offrent aux patients de voir une infirmière praticienne, qui peut faire beaucoup de ce qu’un médecin de famille peut faire, notamment :
- Prescrire des médicaments
- Examiner les patients
- Remplir des requêtes pour des tests de diagnostic et interpréter des analyses de laboratoire
- Diagnostiquer des maladies
- Traiter
- Élaborer des plans de traitement
- Obtenir les antécédents des patients
Cependant, les infirmières praticiennes doivent être considérées comme complémentaires plutôt que comme des substituts aux soins d’un médecin. Grâce à leurs compétences et à leur formation, elles peuvent être un apport précieux au sein d’une équipe de soins, mais elles n’ont toujours pas les années de formation et l’expérience de formation intensive en milieu clinique d’un médecin généraliste. Ainsi, elles devraient surtout jouer un rôle de collaboration et non de substitut.
Malheureusement, la province dans laquelle je vis est l’une des provinces qui n’ont pas d’adjoints au médecin, ce qui est un autre problème en soi. Les adjoints au médecin peuvent fournir des soins dans des domaines de la santé pour lesquels il m’est souvent impossible de consulter un médecin de famille.
Voici des sites Web pour vous aider à trouver un médecin de famille en Colombie-Britannique :
- Consultez le répertoire Pathways Medical Care Directory. Il vous aidera à prendre contact avec un médecin de famille dans votre région.
- Contactez HealthLink BC en composant sans frais le 8-1-1 (si vous êtes malentendant, composez le 7-1-1.). Vous pourrez parler à une personne qui vous fournira de l’information sur la façon de trouver un médecin de famille dans votre région.
- Votre division de médecine familiale régionale pourrait aussi savoir si des médecins de famille acceptent de nouveaux patients : https://www.divisionsbc.ca.
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