Photo de JG Chayko, une patiente atteinte de polyarthrite rhumatoïde, portant un masque dans le cabinet du médecin pour lequel elle travaille en tant que personnel de première ligne pendant la pandémie de COVID-19.
Crédit: J. G. Chayko

Nous sommes mardi matin, peu après 7 heures. Le soleil pointe à l’horizon en illuminant de sa lueur orange les montagnes enneigées. Il amène avec lui la promesse d’une belle journée de printemps. Divers oiseaux gazouillent et bavardent dans les arbres, la végétation luxuriante et ses fleurs sauvages se répandent sur les côtés du chemin vide qui s’étend jusqu’au centre-ville. Un silence étrange est suspendu dans l’air. Aucune voiture ne remplit les rues aux heures de pointe, des autobus vides passent toutes les 20 minutes environ. Je marche sur ce qui est normalement une voie piétonne et cyclable bondée, mais, en ce moment, je me sens seule au monde. 

Lorsque le nouveau coronavirus a frappé au printemps 2020, les entreprises ont été invitées à fermer et la plupart des gens ont été renvoyés chez eux pour travailler à distance. Les seules personnes qui ne pouvaient pas travailler à domicile étaient les travailleurs de la santé, les commis d’épicerie, les camionneurs, les pharmaciens ainsi qu’une myriade de personnes qui occupaient un emploi dans les services essentiels. Chaque jour, ils devaient faire face à la menace de ce virus inconnu et assurer l’approvisionnement en produits et services essentiels.  

J’étais l’une de ces personnes.  

Bien que je sois danseuse et actrice, au quotidien, je dirige une clinique de soins de santé pour un spécialiste. Pendant près de 12 ans à ce poste, je n’ai jamais eu à faire face à une urgence médicale comme la pandémie de COVID-19. Alors que le reste du monde continuerait à travailler à domicile pour deux ans encore, j’étais de retour au bureau après huit brèves semaines de confinement. 

Faire face à la peur

J’étais effrayée. Je travaillais dans le domaine médical depuis longtemps, mais je n’avais jamais couru le risque d’être exposée à un virus dont nous ne savions que peu de choses et qui s’attaquait particulièrement à la population vieillissante et atteinte de maladies chroniques. Notre clinique s’occupait de patients vulnérables, dont beaucoup avaient la même maladie que moi : la polyarthrite rhumatoïde.  

Il est difficile de prendre en charge une maladie auto-immune qui diminue le système immunitaire tout en travaillant en première ligne. Je suis déjà à la merci de mon corps, ne sachant jamais quand je vais avoir une crise ou quand la fatigue va affecter ma productivité. Je sais que je suis plus à risque de comorbidités, comme les maladies cardiaques et pulmonaires, les problèmes oculaires et les infections. Je n’avais pas besoin d’ajouter l’anxiété d’attraper un virus qui pourrait non seulement dérégler mon état de santé en quelques jours, mais aussi que je pourrais transmettre à ma famille et à mes amis et potentiellement les tuer.  

J’avais l’impression de ne pas avoir le droit de m’inquiéter, même si je l’étais. Je me cachais derrière du plexiglas, portais un masque, essayais de décourager les patients de s’approcher trop près de moi. Nous fermions la porte à clé et demandions aux patients de frapper pour entrer. Ils étaient autorisés à entrer que s’ils avaient pris un rendez-vous. Le virus n’était pas qu’une menace pour les patients; il l’était également pour nous qui travaillions au bureau. Nous avons porté le poids de savoir que si l’un de nous tombait malade, parce que notre médecin et notre équipe médicale couraient le risque de l’attraper, il n’y aurait personne pour nous aider.  

Cette période a été difficile pour les patients. Les humains étant des êtres sociaux, les patients sont toujours joviaux avec la réceptionniste du bureau de leur médecin. Ils avaient l’habitude de bavarder avec moi avant leur rendez-vous. Ils me racontaient les bonnes et moins bonnes nouvelles et j’accueillais leurs réflexions. J’étais un visage amical pour les soutenir dans leurs soins. Et soudainement, ils ont perdu ce filet de sécurité. Nous étions désormais maladroits, ne sachant plus comment interagir. Nous avions du mal à nous acclimater aux nouvelles mesures. Et la peur de l’infection nous dévorait. 

Faire face à la transition

La clinique ne pourrait pas fonctionner éternellement en mode télésanté. C’était bien pendant les premières semaines, mais nous savions que le virus allait rester beaucoup plus longtemps que prévu, et les choses devaient revenir à la normale le plus possible malgré les circonstances. Nous avons développé un hybride entre visite en personne et rendez-vous téléphonique, selon le confort de chaque patient et les mesures en vigueur.  

Je devais être au bureau presque tous les jours pour faire mes tâches, c’est-à-dire appeler les patients, prendre des rendez-vous, récupérer les télécopies et préparer le bureau. À la clinique, j’ai été en contact étroit avec des patients, des collègues, des médecins, des résidents en médecine et des infirmières, qui à leur tour travaillaient chaque semaine ailleurs, notamment dans d’autres hôpitaux.  

Lors de chaque clinique, j’avais l’impression de me mettre directement sur la ligne de feu.  

À cette époque, je suis entrée en contact avec un étrange mélange de personnes dans la communauté. Le virus nous a divisés, entre la peur et le scepticisme. Certaines personnes voulaient venir au bureau; d’autres craignaient de quitter leur maison. Certains se sont plaints des mesures sanitaires et s’y sont opposés, rendant mon travail à la fois difficile et terrifiant. J’ai dû refuser l’entrée à des personnes qui ne portaient pas de masque et me disputer avec celles qui me donnaient du fil à retordre parce que j’en portais un. Les gens entraient dans la clinique avec hésitation, craignant de violer une règle. Ils restaient devant la porte, se tenaient contre le mur ou portaient deux masques. Une personne est même entrée avec un masque à gaz. Le virus nous a divisés, faisant ressortir le pire chez certaines personnes et le meilleur chez d’autres. 

L’atmosphère était instable et imprévisible. Je ne sais pas si la situation s’est améliorée au fil du temps, ou si je me suis simplement habituée à ces mesures. Mais finalement, la crainte de quitter la maison et d’aller au travail s’est dissipée. 

Faire face au monde

Je me suis habituée à ce nouveau monde plus tôt que la plupart des gens. Mes collègues et moi étions toujours masqués. C’est devenu normal. Nous avons créé notre propre bulle. Je me suis réhabituée à sortir pour aller au bureau, faire les courses, marcher, faire du vélo, faire des balades en voiture, voyager. Je suis retombée dans une routine qui m’était familière, presque comme si elle ne s’était jamais arrêtée. 

J’ai eu l’avantage de comprendre le risque de propagation et les mesures de protection plus rapidement que la population générale. J’ai dû affronter le risque, et accepter que pour moi, ce virus n’était pas différent de ce que j’avais toujours subi. Les personnes atteintes de maladies chroniques savent qu’elles doivent se protéger des infections. J’ai donc vu cette situation comme une extension de ce que j’avais toujours fait. 

Je sais que de nombreuses personnes atteintes de maladies chroniques s’inquiètent de la levée des mesures sanitaires. Cependant, je ne suis pas aussi inquiète que je devrais l’être parce que je n’ai jamais pu me cacher du virus de toute façon. Je devais répondre présente, travailler, apprendre à fonctionner et à me protéger en sachant que je pouvais me retrouver face à face avec un nouvel ennemi invisible. Je suis reconnaissante d’avoir pu continuer à travailler pendant cette pandémie, et de ne pas m’être sentie trop à l’aise en isolement.  

Le défi pour aller de l’avant n’est pas seulement de trouver un moyen de recommencer à vivre, mais d’en profiter tout en restant en sécurité. N’est-ce pas ce que nous faisons depuis toujours, dans la communauté des maladies chroniques? 

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