Comme patiente atteinte d’une maladie chronique, je ne suis pas à l’abri des conseils non sollicités. Les gens aiment bien me partager leurs opinions sur la façon dont je devrais vivre ma vie en tant que personne atteinte de polyarthrite rhumatoïde ou en tant que mère célibataire. Ils sont toujours prêts à se prononcer sur mes tatouages ou mon choix de ne porter que rarement des vêtements colorés.
Normalement, je ne laisse pas ces opinions différentes des miennes m’atteindre parce qu’elles n’ont pas d’impact significatif sur mon bien-être. Tout le monde est différent. Et tout le monde a le droit d’exprimer ses propres opinions. Je laisse tout ça couler comme l’eau sur le dos d’un canard.
Cependant, lorsque vos actions nuisent à moi et à ma communauté, et que ces différences d’opinions nous rendent plus vulnérables que les autres, je ne peux plus les laisser passer. J’ai le devoir de mettre des limites pour me protéger et protéger les autres membres de ma communauté de patients atteints de maladies chroniques.
Mon point de vue sur le Convoi de la liberté
Pendant la pandémie de COVID-19, le Canada a créé certaines limites en instaurant le passeport vaccinal et le port du masque. Ceci a été fait pour éviter que les citoyens soient frappés par la maladie et pour nous protéger de ceux qui ont fait le choix de ne pas se faire vacciner ou de ne pas porter de masque en public.
Les participants au Convoi de la liberté se sont mis à critiquer les personnes qui respectent ces limites ou en mettent de nouvelles en place. La situation au Canada va en s’empirant, alors que les participants au convoi défilent devant les hôpitaux et les écoles, bloquent les passages frontaliers et les ponts et prennent les villes en otage, tout en prétendant se battre pour la « liberté ». (Le « Convoi de la liberté » est une série de protestations et de blocages au Canada s’opposant aux mesures de santé publique et à l’obligation de présenter une preuve vaccinale imposées aux camionneurs canadiens qui traversent la frontière canado-américaine.)
Moi, ce que je vois, ce sont des intimidateurs qui font fi du reste du pays pour obtenir ce qu’ils veulent.
Vous avez la liberté de choisir, mais cette liberté ne vous exempte pas des conséquences de vos choix ni de vos responsabilités. De mon côté, j’ai la liberté de dire que vos choix nuisent à ma communauté, que cela vous plaise ou non. Aucun de nous n’est à l’abri de la maladie.
Parler de capacitisme
J’ai observé de nombreuses personnes signaler sans arrêt les discours et les images indéniablement racistes véhiculés par certains membres (mais pas tous) du Convoi de la liberté. J’ai aussi observé des membres du Convoi de la liberté se défendre de ne pas être racistes et souligner qu’ils ne sont qu’amour. Un des slogans que j’ai vu est « Des câlins, pas des masques ». Pour les personnes à haut risque de complications de la COVID-19, les câlins sont risqués.
Cependant, le capacitisme flagrant véhiculé par le Convoi de la liberté est rarement mis en lumière. Peu de gens remettent en question cette forme flagrante de discrimination. Mais pourquoi?
Le sexisme, le racisme, l’âgisme, l’homophobie sont souvent dénoncés lors de discussions sur la discrimination, mais j’entends rarement quelqu’un en dehors de la communauté des personnes handicapées parler de capacitisme et défendre cette communauté.
Le capacitisme, c’est la conception qu’être non handicapé est l’état normal d’un être humain. Toute variation à cette normalité est donc définie comme étant moindre, à divers degrés.
Cela doit changer. Ceux d’entre nous qui ont un handicap ou une maladie chronique ont aussi besoin d’alliés. Le capacitisme amène les gens à prioriser la santé et l’indépendance au détriment des personnes handicapées.
Qu’en est-il de notre liberté à nous? Pourquoi est-il acceptable de nous discriminer et de nous marginaliser? La santé est synonyme de privilège. Ce que je vis, comme personne qui a développé une maladie chronique qui diminue le système immunitaire et qui provoque une douleur et une fatigue intenses, peut arriver à n’importe qui d’autre.
Parfois, il est impossible de comprendre ce qu’implique une maladie tant qu’on ne l’a pas vécue nous-mêmes
C’est aussi un privilège de vivre dans un pays qui a un système de santé comme celui du Canada, comparativement à d’autres pays qui sont réellement sous un régime communiste, ou même à nos voisins du Sud, les États-Unis.
La Colombie-Britannique, où j’habite, a le privilège d’avoir un ministre de la Santé publique, Adrian Dix, qui vit avec une maladie chronique et qui comprend beaucoup mieux ce qui se passe lorsque nous tombons malades que quelqu’un qui a eu le privilège de ne jamais vivre
avec une maladie chronique. Quant à notre premier ministre, John Horgan, il a déjà subi des traitements contre le cancer et en a suivi d’autres pendant la pandémie.
Les mesures de santé publique protègent les personnes handicapées, âgées et immunodéprimées. Notre liberté et nos vies comptent, elles aussi. Si vous étiez à notre place, vous vous battriez pour que ces mesures restent en place et qu’on y mette fin lentement afin de pouvoir continuer à recevoir les soins médicaux dont nous avons besoin sans pénurie de médicaments ou de médecins, mobilisés pour prendre en charge les débordements de patients non vaccinés atteints de COVID-19.
Si vous pensez que le coronavirus ne vous affecte pas, vous devriez écouter ceux qu’il affecte.
Vous devez également savoir que même si la pandémie devient notre nouvelle réalité et que les provinces rouvrent, les personnes dont le système immunitaire est affaibli doivent toujours se protéger. Dans un sens, la pandémie ne sera jamais complètement derrière nous parce que nous restons immunodéprimés et vulnérables à des problèmes de santé encore plus graves découlant du virus.
Pourquoi ai-je décidé de faire du bruit? J’en avais marre
Alors, moi, la fille atteinte de polyarthrite rhumatoïde, j’ai pris la rue le mois dernier à Vancouver pour m’opposer au Convoi de la liberté. Je me suis fait une pancarte. J’ai enfilé mon t-shirt arborant le message « Fougueusement en train de me battre contre la polyarthrite rhumatoïde ». Et j’étais prête à leur demander quels messages ils pensent envoyer à ma communauté et aux proches des personnes décédées de la COVID-19.
Je l’ai fait principalement parce que j’en ai marre. Je suis tannée de la discrimination à l’encontre des personnes handicapées que cette pandémie a mise en évidence. Je voulais faire du bruit et je ne me suis pas gênée pour en faire.
Arrêtez de me dire de rester à la maison si je « crains » le virus ou qu’il n’est pas de votre devoir de protéger les personnes comme moi, surtout si vous dites que vous vous battez pour la liberté de tous les Canadiens.
Il est déjà assez difficile de nous battre contre une maladie invisible comme la polyarthrite rhumatoïde; maintenant je dois me battre pour ma sécurité et mon bien-être. Ce n’est pas de la peur. Je suis bien informée au sujet de la COVID-19 et j’ai une vaste expérience de la vie avec une maladie chronique.
Même si la COVID-19 ne me tue pas ou ne se solde pas en hospitalisation, les infections aggravent ma polyarthrite rhumatoïde et sont plus difficiles à combattre pour moi. Certaines infections m’obligent à interrompre mes traitements pour la PR, ce qui peut provoquer une crise douloureuse de polyarthrite rhumatoïde.
Alors, permettez-moi de vous expliquer le problème. Est-ce que c’est correct de me demander d’empirer l’activité de ma maladie parce que vous ne pouvez pas vous préoccuper de la sécurité des autres en portant un masque pendant 15 minutes lorsque vous faites l’épicerie?
Peut-être que vous repenseriez à vous éviter ces petits moments d’inconfort que vous cause le masque si vous saviez qu’une maladie comme la COVID-19 peut non seulement causer la COVID-19 de longue durée, mais aussi d’autres maladies graves. Aimeriez-vous toute une vie d’aiguilles, de médicaments, de tests et de rendez-vous médicaux? Vos actions pourraient vous y mener.
J’ai marre…
- Qu’on me dise de rester à la maison si je suis vulnérable parce que quelqu’un ne veut pas prendre de mesures pour contribuer à mon bien-être.
- D’entendre que ma communauté craint de sortir en public parce que des personnes intimident celles qui portent un masque ou leur demandent de faire preuve de considération envers elles.
- Que les gens laissent des commentaires sur mes réseaux sociaux insinuant que je suis en train de me tuer et de tuer mon enfant parce que je nous ai protégés contre le virus avec des vaccins et en portant un masque.
Devinez quoi, le vaccin a fait son travail et m’a protégée. En plus, il a permis de réduire les symptômes de mon enfant lorsqu’il a été exposé au variant Omicron.
Selon moi, ce n’est pas pour la liberté que vous vous battez. Vous vous battez plutôt pour votre choix de refuser d’aider votre voisin qui a du mal à combattre le virus.
Ce que j’ai vu lors de la manifestation
J’ai vu de l’intimidation
Ils prétendent que leur manifestation n’est pas haineuse, mais après l’avoir constaté directement, je peux dire que leur message n’a rien à voir avec la liberté, l’amour ou la fierté d’être Canadien. Les médias ne répandent pas de mensonges sur le virus. Pendant la pandémie, j’ai souvent été présente dans les médias pour essayer de faire passer mon message, mais certains n’écoutent juste pas. C’est leur choix.
J’ai vu des manifestants pour la liberté antagoniser les contre-manifestants en recourant à la violence physique et en les confrontant en plein visage, surtout les journalistes qui n’étaient là que pour documenter et parler des deux côtés. J’ai également vécu cela. L’un d’eux a refusé de respecter ma demande de garder six pieds de distance entre nous. Il s’est plutôt placé à quelques centimètres de mon visage pour me crier des insultes.
Quel genre d’homme menace une femme handicapée mesurant cinq pieds? Un intimidateur.
J’ai entendu de la désinformation et j’ai été témoin d’attaques contre la science
En tant que défenseure des droits des patients et partenaire de recherche, j’ai travaillé avec des scientifiques et des médecins sur des projets de recherche. Depuis trois ans, j’assiste à des conférences sur l’arthrite et la rhumatologie au cours desquelles l’un des principaux sujets de discussion était la COVID-19.
Entendre la désinformation diffusée par le Convoi de la liberté est réellement alarmant.
J’ai entendu des manifestants crier que le zinc guérirait ma maladie, alors qu’ils ne pouvaient même pas prononcer son nom ou même me le répéter. J’ai vu des parents amener leurs enfants au convoi qui ne leur ont probablement jamais expliqué ce qu’était une maladie chronique ou un système immunitaire affaibli. C’est possible que je leur aie suggéré de demander à leurs parents ce que signifiait « immunodéprimé ».
J’ai fait du bruit
Je suis malade, fatiguée et à haut risque d’infections. Je ne vais pas me taire. Quelqu’un doit défendre la communauté des personnes immunodéprimées, âgées, malades chroniques et handicapées.
Pendant la contre-manifestation, j’étais rempli d’adrénaline. La douleur et la fatigue n’existaient plus pendant quelques heures, car j’avais canalisé une grande partie de ma frustration refoulée et de mon énergie pour transmettre mon message aussi fort et clair que possible.
J’ai hurlé. J’ai crié. J’ai dansé. J’ai sauté partout. Je suis devenue émotive. Je me suis mise en colère. J’ai évacué ce que j’avais besoin d’évacuer. Je ne me suis pas toujours bien comportée, mais vous connaissez le dicton : « Les femmes bien élevées passent rarement à l’histoire ».
Et je le referais.
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