Lorsque vous présentez des symptômes de polyarthrite rhumatoïde (PR) ou d’une autre maladie rhumatismale inflammatoire, il est important que le délai entre la visite chez votre médecin de famille pour obtenir une demande de consultation et votre premier rendez-vous avec un rhumatologue soit le plus court possible. Au Canada, un délai de quatre semaines est visé entre la demande de consultation d’un médecin de première ligne et le premier rendez-vous avec un rhumatologue.
Toutefois, dans la majorité des cas, cet objectif est dépassé, et de beaucoup. Les personnes qui finissent par recevoir un diagnostic de polyarthrite rhumatoïde peuvent attendre jusqu’à un an avant de voir un rhumatologue. Bien que ce retard soit causé par plusieurs facteurs, dont le temps pour obtenir une demande de consultation pour voir le rhumatologue, l’un des principaux obstacles au Canada pour accéder à des soins en rhumatologie en temps opportun est la pénurie de rhumatologues.
« Nous avons tous ces obstacles et ils sont honnêtement déchirants. [Je reçois des gens] dans la fleur de l’âge qui ne peuvent pas aller travailler depuis deux mois parce qu’ils sont trop souffrants et que personne n’a réussi à les aider jusqu’à présent. C’est une perte énorme, non seulement pour les patients et leurs familles, mais aussi pour l’économie en général », me confie la Dre Tooba Ali. Rhumatologue exerçant à Oshawa, en Ontario, la Dre Ali est présidente du comité RheumOpportunities, une initiative de l’Association ontarienne de rhumatologie, qui vise à combler les lacunes en matière de soins rhumatologiques dans la province.
Effets de la pénurie de rhumatologues sur les patients
« La recherche suggère que plus tôt nous traitons la polyarthrite rhumatoïde, plus les chances de rémission sont élevées », partage-t-elle. Néanmoins, d’autres facteurs peuvent également affecter vos chances de rémission, notamment « les maladies sous-jacentes, le fardeau de la maladie, les mécanismes biologiques sous-jacents, l’accès aux médicaments… et l’accès précoce à des soins est certainement un moyen de désamorcer ces obstacles pour les patients. »
Autrement dit, le plus tôt vous consultez un rhumatologue, plus vous avez de temps pour surmonter les obstacles qui vous empêchent de prendre en charge votre condition.
Dans sa pratique, la Dre Ali couvre une grande superficie du centre et de l’est de l’Ontario. « Je constate que la plupart de mes patients conduisent deux heures pour venir me voir, car [il] n’y a pas de rhumatologue dans leur région ou il y en avait un qui a pris sa retraite. » Cette situation est bien sûr très dure et frustrante pour le patient, mais elle l’est tout autant pour les médecins. « Ces personnes souffrent à cause d’une condition qui est complètement traitable au 21e siècle », ajoute-t-elle.
Comment s’explique la pénurie de rhumatologues au Canada?
La pénurie de rhumatologues au Canada est causée par plusieurs facteurs. Le manque de rhumatologues pour prendre la relève de ceux qui partent à la retraite, en raison d’une sorte de fossé générationnel dans la spécialité, en est un. Toute une génération plus âgée de spécialistes approche maintenant de l’âge de la retraite. Un écart s’est ensuite produit lorsque le domaine de la rhumatologie a vu une diminution du nombre de médecins choisissant cette spécialité.
La répartition géographique des rhumatologues en est un autre. « Dès que vous sortez des grands centres, il devient très difficile d’avoir accès à des soins de rhumatologie, ce qui constitue un énorme obstacle pour les patients en termes de temps pour obtenir un diagnostic, de temps de traitement et d’accès à la médecine du 21e siècle », explique la Dre Ali.
Le troisième facteur majeur de la pénurie est le manque de financement de places dans les programmes de formation. Un nombre fixe d’étudiants en médecine peut choisir la rhumatologie comme spécialité chaque année.
Le financement gouvernemental influe également sur la prestation des soins en rhumatologie. Il existe des différences importantes dans les modèles de soins d’une province à l’autre. Par exemple, la Colombie-Britannique finance ce qu’on appelle des adjoints aux médecins dans les cliniques de rhumatologie, comme des infirmières en rhumatologie, des physiothérapeutes et d’autres professionnels de la santé, qui peuvent aider à faire l’évaluation initiale et l’éducation des patients. Cela permet au rhumatologue de se concentrer sur les patients qui ont besoin de soins médicaux spécifiques et à la clinique d’offrir des soins plus complets à un plus grand nombre de personnes. D’autres provinces, comme l’Ontario, ne financent pas ce genre de programme. Cela signifie que « les médecins doivent les payer de leur poche », explique la Dre Ali, ce qui peut être coûteux.
Leçons de la pandémie de COVID-19
Traverser la pandémie de COVID-19 a permis une révolution tranquille des soins de santé au Canada. Les rendez-vous virtuels se sont intégrés à la pratique, servant souvent de première étape pour évaluer le besoin de prodiguer des soins en personne. Pour beaucoup de patients et de professionnels, cette innovation était la bienvenue. Les soins virtuels « comblent certainement les lacunes en matière de soins pour les patients qui, autrement, n’ont pas accès à des soins de santé », déclare la Dre Ali.
Les résultats d’une enquête menée par le Comité ACE montrent que les soins virtuels pendant la pandémie ont été « un moyen simple pour davantage de patients de voir leurs spécialistes en temps opportun et aident les systèmes de soins de santé à réduire les coûts. » Neuf personnes interrogées sur dix ont eu accès à des soins virtuels pendant la pandémie et 70 % d’entre elles étaient satisfaites de cette expérience virtuelle. Outre la protection contre une éventuelle exposition à la COVID-19, ne pas avoir à se déplacer pour un rendez-vous médical était un avantage considérable. Cela témoigne de l’importance de réduire les coûts financiers et personnels cachés des soins, notamment les absences du travail, le coût de l’essence et du stationnement ainsi que le coût personnel de la fatigue et de la douleur causées par les heures de déplacement et d’attente.
Améliorer l’accès aux soins de rhumatologie
L’élimination des obstacles à l’obtention des soins rhumatologiques qui vous aideront à vous sentir mieux nécessite la mobilisation des deux partenaires du processus : les rhumatologues et les patients.
La Dre Ali a dressé une liste de ce qui est nécessaire pour moderniser la rhumatologie au Canada et la rendre plus accessible et équitable. Elle commencerait par un renforcement de la formation en rhumatologie pour les étudiants en médecine. « Vous seriez surpris de voir à quel point les étudiants en médecine sont peu exposés à la rhumatologie à la faculté de médecine », dit-elle, soulignant que l’expansion de la formation en rhumatologie des étudiants en médecine permettra nécessairement aux médecins de famille d’en savoir plus sur les maladies rhumatismales.
Ensuite, elle aimerait voir des changements gouvernementaux afin d’augmenter chaque année le nombre de places financées dans les programmes de formation en rhumatologie. « Nous avons tellement de médecins qui veulent suivre la formation pour devenir rhumatologues… [mais] nous n’avons pas la capacité de les former. » Ces changements devraient également inclure la création de programmes de distribution plus équitables pour s’assurer que les zones mal desservies sont couvertes par les soins rhumatologiques. Cela pourrait répondre aux besoins actuels ainsi qu’aux augmentations prévues du nombre de personnes atteintes d’arthrite à mesure que la population vieillit.
La Dre Ali aimerait également voir une expansion des soins multidisciplinaires dans une même clinique. Cela pourrait inclure une combinaison de soins virtuels et en personne, l’utilisation d’adjoints aux médecins, un triage centralisé (tel qu’utilisé dans la région de Calgary, en Alberta) et des consultations en ligne destinées aux médecins de famille afin d’évaluer l’urgence des demandes.
De mon propre point de vue, en tant que militante pour les intérêts des personnes atteintes de PR, l’expérience d’un « guichet unique » serait précieuse. Au lieu de passer plusieurs jours à courir pour voir un médecin, faire des tests sanguins, faire de la physiothérapie ou de l’ergothérapie et plus encore, pouvoir tout faire en une journée a des avantages incalculables.
C’est un soulagement de savoir que l’Association ontarienne de rhumatologie plaide activement pour une augmentation du financement afin de former davantage de rhumatologues et pour l’utilisation d’un modèle de soins plus nuancé.
Mais pour vraiment opérer un changement, nous avons aussi besoin de patients impliqués.
Ce que vous pouvez faire pour changer l’avenir
« Chaque voix a du pouvoir et mettre ce pouvoir ensemble le rend plus fort », explique la Dre Ali. Elle suggère de se joindre à des groupes de défense des patients atteints d’arthrite, comme l’Alliance canadienne des arthritiques et Arthrite-recherche Canada (en plus de CreakyJoints Canada et de la Global Healthy Living Foundation). De plus, si vous avez eu de la difficulté à avoir accès à des soins pour votre PR, partagez votre histoire avec vos élus pour les sensibiliser aux obstacles et demander du changement. Appelez et écrivez à votre député provincial et à votre ministre provincial de la Santé (responsable de la prestation des soins de santé dans votre province).
S’assurer que votre PR est contrôlée pour vous permettre de vivre votre vie convenablement dépend de nombreux facteurs. Il est possible de créer un modèle de soins en rhumatologie exempt d’obstacles et de retards inutiles, mais cela nécessitera des mesures spécifiques de la part de toutes les parties prenantes. Les associations de rhumatologues s’adressent activement aux gouvernements fédéral et provinciaux, tout comme les groupes de défense des patients atteints d’arthrite. Nous croyons tous qu’un avenir meilleur est possible pour les soins de la PR.
Vous pouvez suivre la Dre Tooba Ali sur Twitter.
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