Travel Arthritis
Credit: Tatiana Ayazo

« Regarde comme les voiliers sont petits », s’est exclamé mon père en pointant la fenêtre alors que l’avion pointait vers le ciel. Il n’a pas remarqué mes mains crispées sur les accoudoirs de mon siège ni que je n’avais aucune envie de regarder le sol en train de disparaître. J’avais 11 ans et c’était la première fois que je voyageais en avion. C’est aussi la dernière fois que j’ai eu peur de voler. Regarder ces minuscules voiles blanches sur l’océan bleu près de Copenhague m’a guérie de ma peur et m’a projeté dans l’excitation de voyager.

Depuis ce premier vol vers la Grèce, j’adore la sensation de l’avion qui décolle et l’aventure qui vient avec la découverte d’endroits que je ne connais pas. Passer des journées à me promener (en fauteuil roulant) dans une nouvelle ville, à photographier l’architecture étrangère, à essayer de me faire comprendre des habitants qui parlent une langue que je ne comprends pas, à regarder les gens et à essayer de nouveaux mets locaux est une joie pour tous les sens. J’ai voyagé pendant des années. J’ai fait le tour de l’Europe et de l’Amérique du Nord, et je chéris les souvenirs, les photos et les histoires de chacun de ces voyages.

Cependant, il y a près de 20 ans, j’ai fait une crise de polyarthrite rhumatoïde (PR) qui a changé ma vie. Un médicament biologique a permis de contrôler l’inflammation et a changé ma vie pour le mieux, mais cette crise a laissé des dommages permanents et parmi ses victimes se trouvait ma capacité à voyager.

En fait, il m’a fallu beaucoup de temps pour retrouver la capacité de voyager à l’extérieur de mon quartier de Toronto. Je n’ai pas pris l’avion depuis plus de deux décennies et je n’ai pas été plus loin qu’à 30 km de chez moi.

S’adapter à ne plus voyager

Au début, j’étais trop occupée à récupérer de cette longue crise et à profiter à nouveau de la vie. Je savais qu’il faudrait du temps pour guérir et pour retrouver ce que j’avais perdu. Il a fallu quelques années avant que je me rende compte que je n’étais pas en mesure de voyager, peut-être même que je ne voyagerais plus jamais.

Ne plus jamais me renseigner sur une destination et planifier des horaires exhaustifs (et épuisants) où s’enchainent les aventures, ou faire ma valise puis enlever la moitié de mes vêtements pour faire de la place aux souvenirs. Ne plus jamais ressentir la force exaltante d’un décollage, cette première bouffée

d’air dans un nouvel endroit au parfum unique, ou manger de délicieux plats préparés par les habitants locaux.

La perte de cette partie de ma vie que j’aimais beaucoup a été difficile à affronter. Pour moi, voyager était un style de vie et faisait partie de mon identité. J’avais encore une liste d’endroits où je voulais aller. Après des larmes et quelques moments où j’ai maudit le destin, j’ai décidé de ne pas trop me projeter dans l’avenir.

Même si la progression de ma guérison était lente, je retrouvais la capacité de faire certaines activités, et j’étais heureuse simplement d’être en vie et de moins souffrir. J’avais été tellement malade que ma petite vie me semblait suffisante. J’ai décidé de me concentrer sur l’espoir plutôt que sur le sentiment de perte et à la place de voir les voyages comme quelque chose que je ne pouvais plus faire, j’ai plutôt reformulé en disant : « Je ne peux pas voyager… pour le moment. »

Je vis avec la PR depuis plus de 50 ans et je sais qu’elle va et vient. Parfois, elle prend le contrôle de ma vie, et d’autres fois, elle est calme, parfois même pendant des années. Prendre un pas de recul et regarder ma vie des années et des décennies dans le futur m’a fait réaliser qu’il n’y a aucun moyen de prédire ce dont je serai capable dans un, deux ou dix ans. Je pourrai peut-être récupérer la mobilité que j’ai perdue, mais jusqu’à ce que cela se produise, j’ai une vie à vivre.

Découvrir de nouvelles aventures

J’ai une vie à vivre. Cette phrase est si importante qu’elle mérite d’être répétée. À moins que vous ayez beaucoup d’argent ou que vous voyagiez pour le travail, un voyage est quelque chose que vous ne faites que quelques semaines par année. En d’autres termes, la plus grande partie de votre vie se déroule lorsque vous ne voyagez pas. Au fur et à mesure que j’allais mieux, c’est-à-dire très lentement, et que j’explorais mon quartier et ma ville, mon quotidien s’est transformé en aventure.

Quand je suis en congé, je me promène dans la ville et je regarde ce qui se passe autour de moi. J’explore différents quartiers de Toronto. J’entre dans les magasins, j’observe les gens et j’essaie de nouveaux restaurants ou épiceries. Je prends le temps de regarder les fleurs, les arbres et la faune urbaine dans les parcs et aux coins des rues, en suivant de près les changements de saison. Au printemps, je vais voir les fleurs de cerisier et les migrations d’oiseaux, et je visite le côté sud des îles de Toronto pour regarder la vaste étendue d’eau et sentir le vent qui traverse le lac Ontario. En automne, je me promène au milieu des feuilles ardentes et je me précipite dans la rue dès les premiers flocons de neige pour les laisser tomber sur ma langue. J’ai des laissez-passer de saison pour l’aquarium et les musées. Mon conjoint et moi montons à la Tour CN les jours sans visibilité pour avoir l’impression de marcher dans les nuages, et je « kidnappe » mes neveux pendant une journée pour les emmener dans mes papeteries préférées.

J’ai la chance de vivre dans une ville qui regorge d’activités et dont les nombreux quartiers sont remplis de magasins, de nourriture et de cultures de différents pays. Tout ce dont j’ai besoin pour vivre quelque chose de nouveau, c’est de sortir ou de prendre le tramway. Quand je n’arrivais pas à aller plus loin que mon propre quartier, j’ai appris à ouvrir les yeux et à regarder ce qu’il y a autour de moi, peu importe où je me trouve. La rue dans laquelle j’habite change tous les jours. Ma ville change tous les jours.

Lorsque ma PR se réveille et m’empêche de sortir, je regarde des vidéos de voyage sur YouTube ou des émissions culinaires sur Netflix, et je lis des livres écrits par des auteurs de pays que je n’ai jamais visités.

Tout cela nourrit mon esprit et mon âme qui aiment s’alimenter de voyages. Et les rares fois que je ressens un pincement au cœur en voyant un endroit qui figurait sur ma liste de voyages, je me rappelle que l’endroit où je suis maintenant n’est peut-être pas permanent. Que la seule constante dans la vie est le changement. Bien que je ne puisse pas voyager pour l’instant, dans dix ans, ce sera peut-être une tout autre histoire.

Les crises de douleur sont devenues moins nombreuses et plus éloignées. La clé pour cultiver ma joie au jour le jour a été de me rendre compte que je n’avais pas besoin de prendre l’avion pour partir à l’aventure. Maintenant, je comprends vraiment que tout peut être une aventure, tant qu’on garde l’œil ouvert

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