J.G. Chayko Dance Still

Mon orteil glisse sur le bois ciré du sol. Mon pied est emmailloté dans un chausson de danse moins confortable qu’il en a l’air. La semelle en cuir dur, dissimulée par du cuir rose pâle, abrite également de la laine d’agneau densément compressée au niveau de l’orteil pour supporter tout mon poids lorsque je me lève sur les orteils.

Une douce musique rythme mon échauffement et je regarde ma forme dans le miroir qui meuble un mur complet du studio. Le sentiment de la barre sous ma main m’alimente et j’emporte cette énergie avec moi alors que je me déplace au centre de la pièce en dessinant un collier de perles invisibles sur le sol. Lorsque le crescendo arrive, je saute et tourne, me délectant de la puissance et de la force de mon propre corps. 

J’ai toujours été danseuse. Mon père raconte toujours qu’à trois ans, je suis montée sur une scène extérieure pour faire des pirouettes. Après cela, j’ai suivi un cours d’art le samedi matin qui combinait ballet, claquettes et théâtre. La scène et le studio de danse sont devenus ma deuxième maison. J’ai dansé pendant toute mon enfance, mon adolescence et jusqu’à l’âge adulte. Le ballet a été mon premier amour, mais au fil des ans, j’ai appris la claquette, le jazz, le swing de la côte est et la danse du ventre.  

J’ai reçu ma formation et j’ai dansé au sein d’une troupe de danse professionnelle où j’ai appris des danses latines élégantes comme la salsa, la bachata, le flamenco et la samba. J’ai adoré les costumes et la façon dont je bougeais en les portant ainsi que le glamour et surtout la musique. J’y ai mis à profit ma force et ma flexibilité. J’appréciais la façon dont je pouvais utiliser mon corps. Avec mes membres longs et musclés, il était impossible de cacher à tout le monde que j’étais danseuse. Puis, un jour, mon corps a changé ainsi que ma façon de bouger. 

Chorégraphier une vie réussie avec la polyarthrite rhumatoïde

Quand j’ai reçu mon diagnostic de polyarthrite rhumatoïde (PR), je suivais plusieurs cours de danse par semaine et je répétais pour une pièce de théâtre. Comme danseuse, j’étais habituée à avoir mal, que ce soit à cause de douleurs musculaires, d’ecchymoses, de foulures ou d’entorses. Alors, quand la PR s’est immiscée dans ma vie, je n’y ai pas prêté attention, préférant penser que c’était de l’usure naturelle en raison de la vie très physique à laquelle j’étais conditionnée. Cependant, la PR s’est avérée être une nouvelle forme de douleur, un mal chaud et enflé qui a volé toute la fluidité de mon corps et qui a ajouté une fatigue écrasante à la chorégraphie. Je n’arrivais plus à suivre les demandes physiques, et la musique s’est arrêtée pendant un moment. 

Déterminée à garder la danse dans ma vie, j’ai fait de la physiothérapie et j’ai appris à bouger sans endommager mes articulations. J’ai aussi appris à écouter la musique de mon corps, douce et basse, tranquille et apaisante. Je me suis gardée en forme en faisant du yoga et de la natation. Mon mari et moi avons pris des marches la fin de semaine et après le souper. La musique jouait toujours dans ma tête. Je l’ai entendue à travers les arbres et les ruisseaux souterrains sous nos pieds. Il n’a jamais été question de savoir si je recommencerais à danser, mais plutôt de quand. 

Quand j’ai repris le contrôle de ma PR et j’ai compris ses impacts sur mon corps, j’ai essayé de ramener la danse dans ma vie en assistant à des soirées salsa. Mon corps savait bouger. Cependant, mes partenaires n’étaient pas toujours des leaders expérimentés et les débutants pouvaient être un peu rudes avec mes mains et mes coudes en apprenant à diriger leur partenaire.  

Six ans après mon diagnostic, une occasion incroyable s’est présentée. Mon mari dirigeait une pantomime et la production avait besoin de quelqu’un pour la chorégraphie. Ce fut un bonheur pour moi de me lancer dans ce travail. Au début, j’étais inquiète de ne pas être capable de livrer la marchandise, mais dès que j’ai entendu la musique, les mouvements de danse sont apparus dans ma tête et les pas me sont venus naturellement.  

J’ai réussi à chorégraphier six routines pour une distribution de 17 personnes. En m’appuyant sur ma propre expérience, et sachant que tout le monde n’avait pas de compétences en danse, j’ai étudié les mouvements de la distribution et créé une chorégraphie qui correspondait à la façon dont chacun se déplaçait naturellement. Ce fut un succès retentissant. 

Du ballet à la salle de bal

Après ce spectacle, mon mari et moi avons décidé de nous inscrire à un cours hebdomadaire de danse sociale. J’ai troqué mes ballerines en cuir rose contre des souliers de danse à paillettes. Je pouvais porter n’importe quelle chaussure à semelle souple, tant qu’elle ne laissait pas de traces sur la piste de danse. Ces cours m’ont apporté un équilibre parfait pour que mes articulations – et mon âme – soient heureuses.  

La danse sociale est plus douce pour le corps que les mouvements rigoureux du ballet. Je ne pouvais plus faire des pointes sans douleur, mais la plante de mes pieds était encore capable de danser la valse ou le tango, et même un peu de swing de la côte ouest. La danse sociale m’a permis de retourner sur la piste de danse et d’utiliser mon corps d’une manière qui m’a toujours nourrie, en plus d’avoir mon meilleur ami comme partenaire. 

En entrant dans le studio de danse pour la première fois, j’ai été immédiatement attirée par la barre en bois qui longeait le mur en miroir. Je fis courir le bout de mes doigts sur sa surface lisse avant de poser la main dessus. Je me suis regardé dans le miroir et je me suis vue plus jeune dans une salle de classe remplie de petites filles en collants roses et en chaussons de satin, les cheveux peignés en un élégant chignon.  

Mon corps anguleux, long et ferme d’autrefois avait cédé la place à de douces courbes musculaires, mais c’était toujours moi. Mon corps aurait changé avec le temps et l’âge; la PR n’a fait qu’accélérer un peu les choses. Cependant, toutes ces années de fluidité et de grâce ne sont pas effacées. 

La danse pour tous les corps

Nous pouvons tous intégrer un peu de danse dans nos vies. Pas besoin d’une formation avancée en danse comme moi pour danser. Il s’agit simplement de bouger au son de la musique. Que ce soient les mains, les bras, les épaules, les jambes, les genoux ou les pieds, chaque partie de notre corps qui peut bouger peut danser. 

Nos mouvements suivent un rythme naturel qui nous est propre. Ajoutez un petit balancement de la tête, un doux ballotement, un dandinement des épaules au rythme de la musique et voilà, vous dansez. Vous pouvez danser en marchant, debout, assis et même allongé en remuant vos pieds d’avant en arrière comme quand nous étions enfants. N’importe quelle partie du corps peut bouger sur la musique.  

Quand je me regarde dans le miroir, je ne vois plus cette ballerine longue et mince. Je vois une femme forte vivant avec une maladie chronique et empreinte d’une nouvelle forme de grâce. Je vois une vie de possibilités, d’apprentissages et de mouvements. Un corps qui n’est pas tout à fait le même, mais qui portera toujours l’empreinte des moments exaltants qu’il a vécu sur scène. 

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